Interview Président ZELENSKY Piers MORGAN 11.02.25
- khustochka
- 24 févr.
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COMMENT ARRÊTER POUTINE ?
Président ZELENSKY : Le plus simple est de lui poser des conditions très claires pour le contraindre de mettre fin à la guerre.
Il me semble qu’aussi bien les Etats-Unis que la Chine peuvent jouer ce rôle, certainement pas en termes militaires, mais tout simplement par une volonté politique forte assortie de menaces à caractère économique.
Poutine a très peur de cela ; il craint un effondrement complet de son économie, la déception et la désillusion de toute la société Russe que cela entraînera, avec le risque de ne plus pouvoir se maintenir au pouvoir au Kremlin.
Maintenant, la question posée est également de savoir si nous pourrons intégrer, ou non, l’OTAN.
Voyez ce qui s’est passé depuis trois ans, avec l’aide financière et militaire des Etats- Unis, de l’Europe et d’autres partenaires ; cela représente des sommes considérables, et il est à craindre que si nous n’intégrons pas l’OTAN, nous devrons mobiliser des moyens encore plus important pour nous défendre, avec l’objectif d’une armée d’un million de combattants et la nécessité de renforcer toujours davantage nos moyens en termes d’armement.
Croyez- vous que cette militarisation à outrance soit vraiment ce que nous voulons ? Ne pensez-vous pas que nous avons d’autres urgences en matière humanitaire, sociale, d’infrastructures, de patrimoine, et alors même que nous devrons reconstruire l’Ukraine, tout en bénéficiant de garanties de sécurité ?
C’est pour cela qu’il me semble que notre intégration à l’OTAN serait l’option la moins couteuse, et si cette solution ne pouvait être retenue, nous devrions négocier avec nos partenaires de très sérieuses garanties de sécurité, avec notamment la fourniture d’un grand nombre de missiles à longue portée dont nous devrions avoir un libre usage à la moindre avancée des troupes russes.
Mais ce débat m’amène à vous poser une question : on nous dit que Poutine nous livre cette guerre au motif que nous étions sur le point d’intégrer l’OTAN. Or, à ce jour, nous n’avons pas intégré l’OTAN et certains continuent à s’y opposer. Dans ces conditions, on peut se demander pour quelles raisons l’armée russe continue-t-elle à occuper une partie de notre territoire ?
Piers MORGAN : Permettez-moi de vous dire, monsieur le Président, que je ne crois pas à cette explication, je pense tout simplement que Poutine voulait prendre le contrôle de l’Ukraine et que c’est pourquoi il a décidé de l’envahir.
Il a ensuite prétendu qu’il s’agissait de protéger le peuple russe d’une menace existentielle que ferait courir une possible adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, explication qui me semble tout autant contestable.
En tous cas, dans ce contexte, je serais curieux de savoir comment Poutine accepterait ce scénario d’une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN dans le cadre d’un éventuel accord mettant fin à la phase chaude de la guerre. Pensez-vous vraiment que les dispositions militaires dont vous faites état aujourd’hui suffiraient à le dissuader d’attaquer à nouveau ?
Président ZELENSKY: la question est la suivante : A partir du moment où l’adhésion à l’OTAN ne dépend pas de nous, mais de nos partenaires, nous ne maîtrisons pas le calendrier d’un processus qui peut prendre des années, voire des décennies. Dans ce contexte, nous sommes légitimes à demander comment organiser notre protection durant ce laps de temps indéfini. Concrètement : Sur quels soutiens financiers pourrions-nous compter ? Pourrions-nous récupérer des capacités d’armements nucléaires ? De quelle quantité de missiles à longue portée pourrions-nous disposer ? Et comment organiser notre protection face aux menaces nucléaires russes ? Et lesquels de nos partenaires seraient prêts à envoyer leurs contingents sur place pour garantir notre sécurité ?
En définitive, nous en revenons toujours à la même impossible équation : Si le pouvoir russe a déclenché cette guerre par crainte de notre adhésion à l’OTAN, et que dans le même temps, les américains se refusent à envisager cette adhésion, comment justifier la poursuite de cette guerre ? Laissons Poutine évacuer notre territoire, c’est le plus important. La question des compensations et des réparations pour tous les dommages que nous avons subis viendra après, en son temps.
A PROPOS D’UN ÉVENTUEL COMPROMIS SUR LA QUESTION DES TERRITOIRES :
- Piers MORGAN : Président Zelensky, lorsque je vous ai interviewé au début de la guerre, vous aviez déclaré que vous n’étiez pas prêt à céder aux Russes ne serait-ce qu’un pouce du territoire Ukrainien, avec l’assurance que vous sortiriez victorieux du conflit.
Au cours des derniers mois, et par nécessité, votre position a semblé évoluer au sens où vous seriez prêt à envisager un accord de paix avec la Russie, incluant la cession de certains territoires à la Russie, même avec beaucoup de réticence.
Accepteriez-vous vraiment de ne pas restituer à l’Ukraine tous les territoires Ukrainiens pris par la Russie ?
- Président ZELENSKY : Aujourd’hui, nous ne sommes pas en mesure d’obtenir la restitution de tous nos territoires, que nous considérons comme temporairement occupés, c’est un fait.
Néanmoins, par égards envers ceux qui ont donné leur vie pour l’Ukraine, mais aussi par respect de notre propre constitution, nous ne pouvons pas considérer ces territoires comme Russes ; en clair, il ne peut y avoir de compromis concernant la souveraineté de notre Etat.
Pour autant, nous sommes conscients que nous ne disposons pas aujourd’hui de moyens suffisants, de la part de nos partenaires, pour être en mesure de bouter totalement Poutine et les forces russes hors de nos territoires. Ce sera une question de temps, sans doute par l’articulation de moyens militaires, sur le champ de bataille, et diplomatiques, mais nous savons que nous les récupérerons, à un moment que nous ne pouvons aujourd’hui anticiper car le droit international, la morale et la raison sont de notre côté.
Alors bien sûr, si nos partenaires, les Etats-Unis, l’Europe, la Grande-Bretagne nous aident à faire pression sur Poutine, cela ne pourra qu’accélérer le processus de restitution de nos territoires ; ce sera encore plus efficace si le « Sud global », les Etats Arabes, la Chine, l’Amérique Latine se joignent à cette pression à laquelle Poutine n’aura d’autre choix que céder.
En résumé, plus nous serons soutenus, plus ce processus de restitution sera accéléré, sans qu’il ne soit question, à aucun moment, de toute forme de compromis juridique sur la question des territoires et de leur souveraineté.
Dans l’immédiat, la question posée est de savoir à quoi l’Ukraine est-elle prête ?
Je vous répondrai que l’Ukraine est prête avant tout à la fin de la phase chaude de la guerre, et nous voulons cette paix comme personne d’autre dans le monde car cette guerre se déroule chez nous, avec son cortège de victimes et de destructions.
Cela passe effectivement par la voie diplomatique, en présence des Etats-Unis, de l’Europe, de l’Ukraine et de la Russie, ce qui est déjà une forme de compromis dès lors que nous nous associerons à cette négociation un tueur et un terroriste, je veux parler de Poutine.
A vrai dire, personne ne sait comment s’engagera et comment s’achèvera cette négociation, mais nous pensons que cet objectif de mettre fin à la guerre chaude est un enjeu très important pour le Président Trump en quête d’un succès par la victoire du bon sens.
Bien entendu, ce premier succès devra s’accompagner de garanties extrêmement solides pour l’Ukraine, de façon à empêcher Poutine de relancer la guerre, à moyen ou long terme. Nous devons nous projeter à 10 ou 20 ans, penser à nos petits- enfants, tout faire pour stabiliser la situation de la manière la plus juste et la plus solide, sans mettre en danger l’Ukraine, l’Europe et le monde.
ASSIS EN FACE DE POUTINE :
- Piers MORGAN : Comment vous imaginerez-vous à une table de négociation en face de Vladimir Poutine ? Pensez-vous être en mesure de le faire compte-tenu des positions que vous avez déjà eues à son égard ?
- Président ZELENSKY : Tout d’abord, nous devons affronter une situation très compliquée, très difficile à résoudre, point de vue partagé par le Président Trump. Si nous voulons vraiment la paix, si nous souhaitons sauver des vies, cette complexité impose une négociation à quatre, soit les Etats-Unis, l’Europe, l’Ukraine et la Russie.
Dans cette configuration imposée, quel est l’enjeu de savoir comment je « traiterais » Poutine ? Je ne le traiterai pas bien, de toute façon, car pour être honnête, je le considère avant tout comme un ennemi, et à l’inverse, lui aussi me considère comme un ennemi ; il n’y a rien d’autre à dire.
SI L’UKRAINE AVAIT ETE DOTEE DE L’ARME NUCLEAIRE ?
Piers MORGAN : Pensez-vous, Monsieur le Président, que l’Ukraine aurait subi l’invasion russe en 2022 si elle n’avait pas renoncé à l’arme nucléaire au cours des années 1990 ? Est-ce que cela aurait dissuadé Poutine d’envahir votre pays ?
Président ZELENSKY: Oui, assurément, il n’aurait pas décidé cette invasion, le risque aurait été trop grand pour lui, la dissuasion aurait fonctionné car la guerre nucléaire et ses destructions à l’échelle du monde ne peuvent être une solution.
S’agissant de l’Ukraine, nous avons réalisé trop tard que nous avions renoncé à l’arme nucléaire sans rien en échange, à la suite des pressions exercées conjointement par les Etats-Unis et la Russie, ayant abouti à la signature du mémorandum de Budapest, également ratifié par d’autres états.
Ce faisant, nous avons perdu notre protection et nos garanties de sécurité, alors que nous aurions dû négocier ce renoncement contre des compensations, je pense à une adhésion à l’OTAN ou la fourniture d’armes via l’OTAN. Au lieu de quoi, nous n’avons commencé à recevoir des armes de l’OTAN qu’une fois engagée l’invasion de 2022 !
Je veux parler à ce propos d’armes réelles, à grande échelle, et non pas des quelques petites livraisons que nous avons reçues après l’envahissement de la Crimée, suite à la signature des accords de Minsk.
Songez qu’aujourd’hui, nous dépensons et recevons plus d’armement par jour, qu’au cours de la totalité des huit années ayant précédé la grande invasion de 2022 ; et je le répète, nous n’avons commencé à recevoir des armes à grande échelle, notamment de défense et de défense aérienne qu’après que nous soyons parvenus à contrer et stopper l’invasion russe.
Il faut se replacer dans l’époque, en réalisant que nous ne disposions d’aucune garantie de sécurité susceptible de compenser le renoncement à l’arme nucléaire.
Combien d'argent réel les États-Unis ont-ils dépensé pour l'Ukraine ? :
- Piers MORGAN : Dans une interview récente à Associated Press, vous avez déclaré qu’une part importante d’aides financières des Etats-Unis à l’Ukraine ne vous était pas parvenue. Cette information a suscité diverses réactions et interprétations, sans que l’on sache vraiment ce qu’il faut en retenir et en comprendre.
Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ? Et plus largement, que pouvez-vous répondre à ceux qui estiment que les Etats-Unis versent à fonds perdus des centaines de milliards de dollars à l’Ukraine ?
- Président ZELENSKY : J’ai effectivement réagi, alors que je pensais ne jamais avoir besoin d’aborder ce sujet. Mais je tenais avant tout à répondre aux accusations de ceux qui pensent que les Ukrainiens reçoivent des centaines de milliards de dollars des Etats- Unis, et qu’une part de ces sommes disparait sans que l’on sache vraiment dans quelles mains.
D’abord, que les choses soient claires : l’Ukraine n’a jamais reçu des centaines de milliards de dollars sous forme monétaire.
L’Ukraine a reçu, sur trois ans, avec l’aval du congrès et de la Maison Blanche un premier « paquet militaire » sous la forme d’armements, représentant 77 milliards de dollars. A ce jour, 46 milliards nous ont été effectivement versés, et nous devrions encore percevoir cette année 15 milliards, sans que nous sachions encore à quelle date, avec le constat d’un ralentissement des processus.
D’autre part, l’Ukraine a reçu 31,5 milliards de dollars d’aides budgétaires, c’est-à-dire des financements non affectés, qui ont pu être consacrés, par exemple, à des dépenses énergétiques.
Pour revenir à la question des aides militaires, il faut préciser que certaines ont été allouées directement par la fourniture d’armes sorties des entrepôts de l’armée américaine, comme par exemple, des systèmes de missiles Patriot, ce dont nous avons été très reconnaissants.
Mais il importe de comprendre que ces sorties d’armes ont aussi donné l’occasion aux américains de renouveler leurs stocks avec des équipements plus récents et plus performants, et il est important que les citoyens américains en soient informés et conscients.
De la même façon, il faut rappeler que le soutien militaire à l’Ukraine a permis aussi d’accroître les effectifs des entreprises américaines d’armement mais également leurs résultats financiers, avec des prix de vente de plus en plus élevés, et donc les recettes d’impôts supplémentaires qui en découlent pour les Etats-Unis.
En réalité, les entreprises américaines d’armement n’ont jamais eu autant de commandes depuis 50 ans, y compris en équipements les plus récents, et cette situation n’est pas uniquement imputable à la demande émanant de la seule Ukraine ; plus généralement, cette guerre et les tensions qu’elle génère à l’échelle de tous les pays d’Europe les incitent à renouveler et accroître leurs équipements, avec des revenus supplémentaires pour les entreprises américaines qui se chiffrent en milliards de dollars, y compris sous la forme de licences.
Au-delà des seuls aspects économiques et financiers, il faut aussi être conscient que, pendant que l’Ukraine et son armée affrontent au quotidien les ravages du conflit, les américains bénéficient d’un retour d’expérience extrêmement précieux sur le déroulement d’une grande guerre terrestre moderne. Nous veillons d’ailleurs à communiquer d’abord aux américains, mais aussi aux Européens, tous les enseignements à tirer de la mise en œuvre de tous les systèmes d’armes que nous déployons et quels bilans, positifs ou négatifs, on peut en tirer.
Il faut aussi savoir que l’Ukraine a su développer de façon autonome des systèmes d’armes électroniques sous formes de drones très efficaces contre les équipements russes, leurs infrastructures énergétiques et leurs stocks d’armements. Ces armes Ukrainiennes n’existent pas dans les arsenaux américains, mais nous n’avons pas hésité à leur transférer les technologies correspondantes, soit des apports très précieux pour les accompagner dans leurs efforts de modernisation.
Enfin, disons-le franchement, nous avons, nous Ukrainiens, détruit une grande part du potentiel militaire de la Russie, notamment leurs personnels militaires les plus expérimentés, au prix également des vies de nos soldats. En ce sens, la Russie ne représente plus la même menace pour les américains, et cela d’autant que ces derniers ont su tirer des enseignements très précieux sur le fonctionnement de l’armée russe, ses points forts et ses faiblesses et à quels niveaux se situent ses compétences.
Il s’agit selon moi d’une expérience inestimable, alors même que l’Ukraine a su arrêter, seule, la progression de l’armée russe sur son territoire, sans mobilisation d’un seul soldat américain ou européen. Dans le même temps, la Russie a été dissuadée d’étendre son agression à un seul pays de l’OTAN, ce qui aurait immanquablement conduit à un engagement de soldats américains, britanniques, Français et Européens au sens large.
D’une certaine façon, on peut dire que l’Ukraine a su sauver la vie de tous ces soldats en évitant l’extension du conflit. En retour, n’est-elle pas légitime à demander de fortes garanties de sécurité de la part de ces pays dont les armées ont pu éviter d’être directement impliquées dans le conflit ?
D'après la retranscription de l'interview du President Zelensky
par Piers Morgan du 4 février 2025
Voir les versions video :
1Comment vous sentirez-vous assis à la table des entretiens en face de Vladimir Poutine ?
Écoutez la réponse: https://youtu.be/fUzDtU-pLqQ?si=oUQSuLOdrvdCuI7s2.
Sur le compromis avec les territoires.
Écoutez la réponse: . https://youtu.be/ksEHVhcw7KM?si=J3Z2ENCHoLZxdFzd3.
Comment arrêter poutine?
Écoutez la réponse: https://youtu.be/3EfRq9c3p8E?si=2qUsxS80BYZOo4ZS;4.
Si l'Ukraine avait des armes nucléaires
Écoutez la réponse: https://youtu.be/ZwxgMO2W8ZM?si=iYmlmmqJ7u1F_noi5.
Combien d'argent réel les États-Unis ont-ils dépensé pour l'Ukraine ? Le Président explique à ceux qui pensent qu'ils envoient en Ukraine simplement des fonds sans fin. Comment se déroule réellement tout ce processus ?
Écoutez la réponse: https://youtu.be/KEcBhU19wsc?si=qHg_CO1TE6-ZVNGL
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