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L’économie ukrainienne résiste grâce à l’aide internationale



Après avoir plongé, la production ukrainienne a rebondi l’an der‐ nier. Mais elle reste cantonnée à un format d'économie de guerre. La question de l’aide internationale est clé alors que la présiden‐ tielle américaine pourrait changer la donne.


L’Ukraine devrait recevoir dans les prochaines semaines la troi‐ sième tranche d’aide du Fonds monétaire international (FMI) de 880 millions de dollars, deux ans après le début du conflit avec la Russie. Un an après l’invasion russe, l’Ukraine avait obtenu le sou‐ tien financier du FMI dans le cadre d’une facilité étendue (EFF) de 15,6 milliards de dollars sur quatre ans. Le pays avait reçu une pre‐ mière aide d’urgence de 2,7 milliards de dollars dès 2022. «L’accord fait partie d’un programme d’aide financière internatio‐ nale de 115 milliards de dollars, pour la même période de quatre ans, destiné à soutenir les politiques des autorités visant à stabili‐ ser l'économie alors que la guerre se poursuit et à consolider des politiques plus expansionnistes pour accélérer la reprise une fois la guerre terminée», avait souligné l’institution de Washington en avril 2023.

Lors de sa deuxième revue du programme, en décembre dernier, le FMI a estimé que «l'économie ukrainienne avait fait preuve d’une forte croissance, d’une baisse de l’inflation et d’un renforcement des réserves en 2023». Mais que les perspectives pour 2024 res‐ taient «très incertaines alors que la lutte de l’Ukraine contre l’invasion russe se poursuit».


Après deux ans de conflit, le pays et sa population souffrent, mais l’économie ne s’est pas effondrée. «La guerre en Ukraine a consti‐ tué un choc économique moins fort que ce qui avait été anticipé», souligne Sylvain Bersinger, chef économiste chez Astérès, qui s’est penché sur l’impact pour la Russie et l’Europe, et bien sûr l’Ukraine. «Toutes les économies se sont révélées fortement adap‐ tables, y compris l’Ukraine qui parvient à se maintenir à flot», note- t-il. «Les indicateurs macroéconomiques ont été meilleurs que pré‐ vu, contribuant à une révision à la hausse des perspectives de croissance, écrivaient les économistes du FMI dans leurs conclu‐ sions de leur rapport annuel Article IV et de la deuxième revue du programme. La résilience économique s’est traduite par une meilleure croissance, une désinflation toujours forte et un marché des changes stable, notamment après que la Banque nationale d’Ukraine a abandonné l’ancrage du taux de change, soutenu par de solides réserves».


Bien sûr, l’économie a plongé la première année du conflit. Le pro‐ duit intérieur brut (PIB) a alors chuté de 29%, selon le FMI. Il en est de même pour la production industrielle. «Ce choc n’est pas surprenant au vu de l’occupation d’une partie du territoire et de l’émigration d’environ 6 millions d’Ukrainiens» sur une population actuelle de 33,8 millions, selon le FMI, souligne Sylvain Bersinger. L’économiste d’Astérès relève en outre qu’en 2025, le PIB ukrainien sera toujours inférieur de 20% par rapport à son niveau de 2021 d’après les prévisions du FMI, prévisions par nature aléatoires puisqu’elles dépendent de l’évolution du conflit. Le Fonds a revu en hausse sa prévision de croissance à 4,5% pour 2023 et s’attend à une nouvelle progression comprise entre 3% et 4% cette année.


Economie résiliente


«Au vu des conséquences de la guerre, environ 20% du territoire occupé par les Russes, exil de près de 15% de la population, la baisse de production de l’économie ukrainienne est restée limitée, estime Sylvain Bersinger. A titre de comparaison, le PIB français avait chuté de plus de 25% entre 1914 et 1918, dans des conditions similaires à celles que connaît l’Ukraine – occupation d’une partie du territoire, destructions de capital, pertes humaines.» Le pays a subi le plus important choc inflationniste, avec une envolée des prix de plus de 20% en 2022, en raison de la désorganisation des flux commerciaux et de la hausse des prix de l’énergie. Mais là encore, il a fait preuve de résilience. La hausse des prix a décéléré en moyenne à 13% en 2023, et même terminé l’année à +6%, selon le FMI qui s’attend à une légère accélération cette année à 7,7% en moyenne et 9,5% en fin d’année. Le pays a par ailleurs augmenté ses réserves de changes à 39,5 milliards de dollars l’an dernier (+38,5% en un an), couvrant 5 mois d’importations.


Malgré cette relative résistance, le conflit a laissé des cicatrices. Ceux d’une économie de guerre. D’abord une envolée des déficits publics, dus à l’effort de guerre qui devrait atteindre 18,7% du PIB cette année, selon le FMI. Le premier ministre ukrainien, Denys Shmyhal, a indiqué que l’aide du FMI, qu’il espère être de 5,4 mil‐ liards cette année, permet de concentrer les ressources domes‐ tiques pour la défense du pays. Cela se traduit par une hausse de la dette publique à 87,1% du PIB prévu cette année (+37 points de‐ puis le début du conflit) et qui devrait approcher les 100% en 2026. Une dette essentiellement à court terme (85%). Les financements externes ont également explosé à 17% du PIB, contre un peu plus de 2% en 2021. Le déficit de la balance courante est également en forte augmentation, tandis que les investissements directs étran‐ gers ont flanché.


La clé de l’aide américaine


Une des clés de la résilience de l’économie ukrainienne réside dans l’aide internationale, qui commence à être amputée du côté des Etats-Unis et qui pourrait être remise en cause en cas de victoire de Donald Trump à la présidence américaine.


«La donne s’est modifiée en 2023, relève Sylvain Bersinger. En fin d’année les Etats-Unis ont fourni un peu plus de 60 milliards d’aide (2/3 d’aide militaire, 1/3 d’aide financière) avec, pour l’instant, un blocage de nouvelles aides par le Congrès américain tandis que l’Union européenne a déjà fourni 75 milliards (légèrement plus d’aide financière que militaire) et prévoit jusqu’à 140 milliards.» Les autres soutiens proviennent principalement du Royaume-Uni et du Canada. «Alors que Joe Biden est un soutien sans faille de l’Ukraine, Donald Trump est plus réticent, poursuit l’économiste. Ce dernier veut que l’UE s’aligne sur les aides fournies par les Etats-Unis, en menaçant de s’aligner à la baisse. Il ne cesse, via ses alliés au Congrès, de bloquer les aides supplémentaires à l’Ukraine.»

Une aide militaire et financière de 60 milliards de dollars est ac‐ tuellement bloquée par les Républicains à la chambre des représen‐ tants, alors que l’armée ukrainienne manque d’armes et se trouve à court de munitions. A la veille de l’accord sur la troisième tranche d’aide, le FMI a exhorté les pays à débloquer les aides, estimant qu’un «soutien opportun» à l’Ukraine était essentiel, y compris des Etats-Unis, pour garantir la viabilité budgétaire et externe du pays. Lors d’une conférence de presse, une porte-parole du Fonds a pré‐ cisé que l’Ukraine aura besoin d’environ 42 milliards de dollars de financement cette année, dont environ 32 milliards de la commu‐ nauté internationale. «Si Donald Trump gagne les élections en no‐ vembre prochain, le financement de la guerre en Ukraine risque d’être chamboulé», prévient l’économiste d’Astérès.



par Xavier Diaz

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