La guerre russo-ukrainienne comme guerre de période de transition. Nouveaux modèles de guerre.
Le chemin vers la paix peut aussi passer par la guerre.
L'expérience de notre combat sera utile à tous ceux qui cherchent un chemin vers la paix. Et le chemin vers la paix peut aussi passer par la guerre. « Si vis pacem, para bellum » - paroles attribuées à l'ancien historien romain Cornelius Nepos, conviennent malheureusement parfaitement à une société démocratique, même aujourd'hui, au XXIe siècle. Si vous voulez la paix, préparez-vous à la guerre. Oui, c'est absolument vrai. Cela m'est confirmé, à moi qui ai dû être Commandant en Chef des Forces Armées d'Ukraine, et à tout le peuple ukrainien, qui l'a vraiment appris durement et douloureusement.
Quand je suis né, vingt-huit ans s'étaient écoulés depuis la fin de l'une des guerres les plus brutales et sanglantes de l'histoire de l'humanité. Quand je suis né, aucune bombe ne tombait plus sur les villes et les villages, et les chars ne broyaient plus le sol et tout ce qui s'y trouvait. Il n'y avait pas de sons perçants de sirènes de raid aérien, pas de rafales automatiques.
Mais aujourd'hui, je prie moi-même et je vous demande à tous de prier et de demander à Dieu que nos petits-enfants ne voient jamais ce que nos grands-parents ont vu, ce que nous avons vu et, malheureusement, nos enfants. Pour cela, on ne peut pas arrêter de se battre pour le droit de vivre, même une minute. Le mal est proche et il est venu pour tuer.
On ne peut pas arrêter de se battre pour le droit de vivre
Malgré le fait que la richesse la plus précieuse de l'humanité sur la planète Terre soit la capacité de vivre, la quasi-totalité de son histoire est associée aux guerres. Ou plutôt, avec le meurtre de personnes. Ces guerres, ou plutôt ces meurtres, au fil du temps, en termes d'ampleur des événements et de nombre de victimes, sont devenus sans précédent et ont acquis le statut de guerres mondiales. Rien qu'au siècle dernier, il y a eu deux de ces conflits - la Première et la Seconde Guerre mondiale, qui ont été séparées par un peu plus de vingt ans et qui ont coûté la vie à environ 60 millions de personnes. L'humanité est-elle prête à accepter calmement la prochaine guerre en termes de souffrance - la Troisième Guerre mondiale ? Cela dépend dans une certaine mesure de nous, les militaires professionnels, qui savons presque tout de la guerre. Après tout, ce sont les militaires professionnels qui mènent les guerres et connaissent leur véritable prix. Le prix des défaites et des victoires.
En revenant aux événements de 2022-2024 de la guerre décennale entre l'Ukraine et la Russie, nous devons dire honnêtement à l'humanité ce qui se passe et à quoi elle doit se préparer. Les nations libres et démocratiques et leurs gouvernements doivent se réveiller et réfléchir à la manière de protéger leurs citoyens et leurs pays.
Nous sommes prêts à partager toutes nos connaissances, notre expérience et nos réflexions avec ceux qui n'ont pas abandonés l'Ukraine dans les moments difficiles et qui recherchent la paix et la tranquillité pour leurs peuples.
Qu'est-ce que cette guerre nous a appris
Alors, qu'est-ce que cette guerre nous a appris, à nous, Ukrainiens, et surtout sa composante à grande échelle, dont le vortex a éclaté dans nos vies le 24 février 2022 ?
Tout d'abord, les guerres doivent être évitées ! Mais si elle arrive, il faut s'y préparer. C'est la préparation à la guerre qui doit être considérée comme un ensemble important de mesures qui couvre non seulement les aspects purement militaires, mais aussi toutes les sphères de l'activité de l'État.
La société doit accepter de renoncer temporairement à un certain nombre de libertés pour survivre :
L'élément le plus difficile et le plus important est peut-être la préparation de la société, fondée sur une communication honnête et transparente entre le gouvernement et le peuple. La société doit accepter de renoncer temporairement à un certain nombre de libertés pour survivre. Les guerres modernes, malheureusement, sont totales. Elles exigent les efforts non seulement de l'armée, mais aussi de la société dans son ensemble. Les politiciens peuvent et doivent mobiliser la société. À cette fin, les ressources militaires et autres ressources de l'État sont largement utilisées. Parmi ces ressources figurent l'économie, les finances, la population et les alliés. De telles actions, bien sûr, affecteront les processus politiques dans l'État.
Ainsi, la préparation à la guerre sera déterminée non seulement par la capacité de l'armée à repousser l'agression, mais aussi par la capacité de la société à affronter l'ennemi.
Deuxièmement, la guerre ne peut en aucun cas être considérée comme un élément du processus politique intérieur. La guerre est la concentration maximale des forces pour la survie. Et uniquement pour cela !
La guerre pour la liberté dans un pays devrait devenir la politique de survie de la démocratie dans les autres pays libres :
« La guerre n'est qu'une continuation de la politique par d'autres moyens », disait le général prussien Karl von Clausewitz. Par conséquent, il semble étrange qu'à l'échelle mondiale, la guerre en Ukraine, au contraire, façonne la politique intérieure d'autres pays, ce qui est finalement utilisé par les ennemis à leurs propres fins. Je suis convaincu que la guerre pour la liberté dans un pays devrait devenir la politique de survie de la démocratie dans les autres pays libres.
La guerre est une science. Une science avec ses propres lois et règles qu'il faut connaître et étudier. Utiliser la guerre à ses propres fins ou essayer d'influencer son cours pour ses propres intérêts est un crime qui se traduit par d'énormes pertes humaines.
Il est toujours difficile pour une armée démocratique de combattre l'armée d'un seigneur féodal:
Il est toujours difficile pour une armée démocratique, une armée d'une société libre, de combattre l'armée d'un seigneur féodal. L'ennemi considère la démocratie comme notre plus grande faiblesse et essaie par tous les moyens de l'exploiter. Fausses informations, mensonges, dévalorisation des intérêts nationaux, manque de confiance dans les dirigeants - voici une liste incomplète des outils que les Russes utilisent depuis plus de dix ans, et les sociétés démocratiques n'ont pas encore trouvé de moyens de les contrer.
Dès le 5ème siècle avant J-C, le célèbre penseur chinois Sun Tzu a exposé les principes fondamentaux de la guerre, qui restent d'actualité aujourd'hui et le seront tant que les hommes mèneront des guerres. Cependant, ce ne sont là que des principes de base qui doivent être complétés par des armes, des formes et des méthodes d'utilisation, ainsi que par des armées avec leurs structures. C'est dans cet ordre que la guerre évolue.
L'existence même de la Russie est déjà une menace.
En analysant minutieusement notre expérience, étayée par des chiffres et des faits, je comprends que nous sommes non seulement au seuil d'un travail colossal, mais aussi, et c'est le plus important, face à un choix difficile. Pour nous, Ukrainiens, il ne s'agit pas seulement d'étudier la loi du « défi et de la réponse » de l'historien britannique Arnold Joseph Toynbee. L'existence même de la Russie est déjà une menace. Aujourd'hui, nous sommes déjà engagés dans une guerre sanglante à grande échelle, qui nous a conduits à un nouveau défi : la survie physique.
C'est la survie d'une nation qui est déterminée par son choix. Comment répondre à ce défi ? Comment survivre dans les conditions d'ambiguïté et de contradiction du monde qui nous entoure? Nous devons maintenant comprendre qu'il dépend de nous, Ukrainiens, de vivre et d'assurer un avenir à nos enfants.
Sans aucun doute, l'histoire donne aujourd'hui une nouvelle chance au peuple ukrainien. Par une nuit froide du 24 février 2022, alors que le monde entier profitait d'une vie paisible et se prélassait dans des lits chauds, les Ukrainiens se sont rappelés le sang qui coule dans leurs veines et se sont lancés dans une bataille féroce contre l'ennemi éternel. Grâce à la vie d'Ukrainiens ordinaires, nous avons gagné une chance pour nous-mêmes. Une chance non seulement de poursuivre la lutte primordiale, mais aussi de gagner. Cela nous a coûté cher - la vie de nombreux fils et filles parmi les meilleurs. Ce n'était que le point de départ.
Trouver sa propre voie vers la victoire.
Très vite, nous avons compris que résister à un coup, riposter dignement à l'ennemi, n'était que le début d'une phase de confrontation plus difficile, qui consiste à trouver sa propre voie vers la victoire. C'est la recherche de cette voie particulière qui nous a amenés à comprendre les contours déjà perceptibles de changements révolutionnaires, principalement dans le domaine militaire. Curieusement, mais de façon assez logique, il est probable que ces changements, inventés sur les champs de bataille de la guerre russo-ukrainienne, détermineront les contours des guerres et de l'art de la guerre au XXIe siècle. Et plus important encore, ils deviendront le fondement de tout le système de sécurité mondiale du futur. Jusqu'à récemment, on pouvait affirmer avec certitude que les systèmes sans pilote étaient la principale raison des changements dans les stratégies, les formes et les méthodes d'application. Mais aujourd'hui encore, il est probablement nécessaire d'introduire un concept plus large - la technologie - dans la conception d'une nouvelle stratégie de guerre.
La conception d'une nouvelle stratégie de guerre.
La guerre qui nous est arrivée en 2014 est complètement différente de celle qui a fait irruption dans nos vies le 24 février 2022. Bien qu'elle se soit basée sur les concepts de 2014, elle était déjà différente et a rapidement épuisé nos forces en mai 2022. C'est l'intensité des hostilités qui nous a obligés à retrouver le niveau du début de l'année 2022, et la nécessité de survivre sur le champ de bataille nous a conduits à une autre guerre, à laquelle nous avons dû faire face à l'été 2023. Les belligérants se sont arrêtés pendant un certain temps à la recherche de nouvelles armes, et il serait pertinent de rechercher de nouvelles formes d'application des dernières technologies. C'est l'invention de nouveaux modes d'utilisation qui conduirait logiquement à des changements dans la structure des unités, des détachements et des forces armées dans leur ensemble.
Mouvement scientifique et rationnel
C'est ce mouvement qui est scientifique et rationnel. Le développement des technologies influence les formes de leur application, et ce sont seulement les nouvelles formes d'application qui affectent la structure des armées combattantes. Cette tendance est inévitable et se poursuivra.
Par technologie, on entend non seulement un ensemble de solutions innovantes, mais aussi un ensemble de mesures pour le développement, le soutien scientifique, la formation et l'élaboration de doctrines qui modifieront la situation sur le champ de bataille dans les conditions où l'ennemi dispose d'un avantage en termes de potentiel et de ressources militaires. En termes simples, nous avons déjà inventé aujourd'hui une façon de combattre et de vaincre des armées plus puissantes au XXIe siècle. De toute évidence, c'est la technologie qui devrait assurer la durabilité de la nation ukrainienne.
Cette guerre n'est pas encore une guerre du futur. Mais c'est notre guerre qui façonne de nouvelles règles.
En même temps, je suis totalement d'accord pour dire que la guerre russo-ukrainienne n'est pas encore une guerre du futur. Ce n'est qu'une guerre de période de transition. Mais c'est notre guerre qui façonne de nouvelles règles. Nous, Ukrainiens, avec notre sang et notre soif de victoire, façonnons de nouveaux modèles d'une nouvelle guerre. Une guerre qui sera la guerre du futur.
Il faut bien admettre que la soif de survie sur le champ de bataille est presque la principale raison de trouver des moyens d'améliorer les armes. La combinaison de facteurs tels que la limitation des ressources, le manque de soutien adéquat et l'incapacité à se concentrer sur la production de moyens de combat traditionnels ont conduit à des changements significatifs sur le champ de bataille de la guerre russo-ukrainienne. En fait, une nouvelle étape dans les formes et les méthodes des opérations militaires a commencé. Nous voyons comment le progrès scientifique et technologique a mis en marche la roue de l'histoire et a apporté sur le champ de bataille les technologies qui seront probablement décisives dans cette guerre et, plus important encore, qui deviendront la base de la sécurité mondiale future.
De qui maîtrisera rapidement ces technologies - le monde démocratique ou le monde de la tyrannie - dépendra de nous.
La guerre est une question de ressources et de temps. Si l'on considère les technologies comme des ressources, alors à l'heure actuelle, pour diverses raisons, ni l'Ukraine ni la Russie ne seront en mesure de les maîtriser seules dans un avenir proche. Cela signifie que la seule issue possible pourrait être d'augmenter le nombre de ressources humaines impliquées dans les hostilités. En même temps, les technologies attendront les courageux et capables de les maîtriser. Celui qui les maîtrisera résoudra les problèmes de sécurité mondiale.
Il est difficile de dire comment la situation évoluera à l'avenir. Une seule chose est sûre : les tyrans auront constamment besoin de la guerre à l'usage interne comme outil de maintien du pouvoir. Les autres devront construire une protection fiable contre eux.
Aujourd'hui, plus que jamais, c'est en Ukraine que l'on trouve des moyens de survivre et de créer des technologies. Mais pour des raisons évidentes, ils ne peuvent pas les développer à grande échelle. D'un autre côté, nos partenaires disposent de ressources, mais il n'y a pas de terrain d'application concret pour les tester. Ce n'est qu'ensemble que nous serons en mesure d'utiliser efficacement la ressource, car le temps ne joue plus en notre faveur.
« Suivre les règles de guerre d'hier ne mènera pas aux succès d'aujourd'hui (ou de demain). C'est la prise de conscience de cela qui peut sauver de nombreuses vies. Nous devons commencer à nous attaquer aux conséquences des nouvelles règles de la guerre », citation empruntée au général américain à la retraite Stanley McChrystal. Et il ajoutait : « sinon, nous serons tous laissés pour compte ».
Permettez-moi d'être plus catégorique : sinon, nous mourrons tous.
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